Velly      Yves Doaré
 
 

Yves Doaré


Jean-Pierre Velly, graveur


C’est en 1974 ou en 1975, je ne me souviens plus exactement, que j’ai vu pour la première fois les gravures de Jean-Pierre Velly. C’était à Quimper, à la galerie Fouillen. Je commençais moi-même à graver de grandes plaques de cuivre, au burin, et j’ai trouvé dans ce travail quelque chose que j’attendais, ou plutôt que je reconnaissais. Des images nouvelles. Elles avaient un pouvoir de subversion qui m’était inconnu et cependant elles agissaient sur moi comme des images qui m’auraient habité depuis longtemps, sans même que je puisse penser qu’elles pouvaient exister. Il y avait en elles à la fois de l’ordre et du chaos, c’est à dire une manière qui rappelait les gravures des grands maîtres du passé : la ciselure savante et rigoureuse qui me fascinait chez Dürer, une attention au paysage qui était un véritable hommage à Claude Lorrain et l’impression de froide cruauté que m’avaient laissé les « désastres de la guerre » de Goya. Mais il y avait aussi cette obsession de l’accumulation, je veux parler de ce pouvoir si particulier de la gravure sur métal que j’avais rencontré chez Bresdin, de faire vivre un univers dans quelques centimètres carrés. Bref, ce travail se nourrissait de celui des Anciens mais il s’en servait pour transformer l’angoisse contemporaine d’un monde égaré ou dévoré par ses inventions, en un joyau de matière ciselée.


Cette écrasante beauté que Jean-Pierre Velly admirait dans les musées italiens n’entravait pas sa création. Au contraire, elle la nourrissait. Elle amplifiait ses visions de « vanités » d’un monde menacé où des grappes de corps humains participaient à une sorte de symphonie « panique », une danse macabre au bord du gouffre. Ses gravures convoquent les monstres, brassent les corps, remuent notre mémoire. C’est le pathos de l’histoire de l’art, la « mémoire involontaire » dont parle Walter Benjamin qui défilent devant nos yeux dans une audacieuse relecture du passé, avec cette tentation jubilatoire de mettre en scène une chair parfois glorieuse souvent malmenée, pour réussir enfin son association à la splendeur d’un paysage romantique. Pour Velly, les formes n’existent qu’impures et l’on peut s’attendre sans cesse à ce qu’elles se transforment ou qu’elles se rejoignent. Ainsi Aby Warburg, à la fin du XIXème siècle avait compris que le «Laocoon » de la Grèce antique n’était pas étranger au rituel du serpent chez les indiens Hopi, et que les formes avaient leurs vies propres, indépendantes des catégories esthétiques de l’histoire de l’art officielle. Cette lutte à contre courant, cette recherche désespérée d’une unité perdue, Jean-Pierre Velly, lui aussi, par sa gravure, s’est attaché à les poursuivre.


À une époque où , en France, la peinture épuisée, désertée par l’image, n’en finissait plus de s’interroger sur elle-même, je trouvais chez Velly ce que j’attendais précisément du travail artistique: un maniérisme subversif et un anachronisme, pour le plaisir de l’oeil. Nul ne réussissait mieux que lui à maintenir la gravure dans une ivresse visionnaire, pour convoquer et fouiller jour après jour sur ses cuivres les formes pathétiques qui nous hantent depuis les origines, ces propositions glorieuses, inquiètes ou déchues de la forme humaine qui sont parvenues jusqu’à nous depuis l’antiquité, en passant par Dürer, Goya et Bacon. C’est dans cette continuité, mais par un foisonnement obsessionnel nouveau et une sorte de somptuosité baroque, que Velly a traduit l’abjection humaine, la crainte d’un retour à la barbarie et le sentiment de menace apocalyptique de notre époque.




lire l’article de Yves Doaré : à propos de

l’  “art visionnaire” publié dans Artension 2006


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