Traduction: Pierre Higonnet
Carlo Nous sommes à la Galerie Don Quichotte, nous avons à côté de nous Jean-Pierre Velly. Demandons-lui directement quelques informations afin de mieux le faire connaître, ainsi que ses oeuvres, à nos auditeurs. Première question donc: le commencement. Quand avez-vous commencé votre activité artistique ?
J.P.V. On pourrait dire que j’ai commencé mon activité artistique à la naissance. J’ai toujours pris une feuille de papier, un crayon, j’ai toujours dessiné. D’abord des fleurs, des poupées. Puis, plus tard, naturellement, les choses sont devenues plus compliquées.
Petit à petit, j’ai fait mes études, d’abord à Toulon. J’avais quinze ans plus ou moins à cette époque, et puis ça a continué…Paris, tout ça, toutes les écoles que j’ai faites. C’est sûr, au début, on fait des petites fleurs, comme je disais toute à l’heure, puis cela devient une tentative de dialogue, c’est-à-dire qu’on utilise le langage plastique comme un vocabulaire. Malheureusement, je parle mal italien, mais j’ai toujours cette tentative d’expression, de dialogue que l’on ne peut exprimer avec les mots, et que je cherche à dire avec le trait, avec la couleur. Et c’est très difficile, malheureusement. Et la beauté aussi, somme toute, c’est difficile.
Carlo Une autre question, plus spécifique. Y a-t-il eu une personne, un peintre, un maître qui, en particulier, vous a influencé pendant ces années de formation, ces années d’études ?
J.P.V. Je dirais tous, sans en exclure aucun ! Justement à cause de cette tentative de dialogue ; excluons immédiatement tous ceux qui ne sont pas « vrais », pas authentiques. Il est clair que, étant français, j’ai subi l’influence, pour répondre à votre question, de Cézanne, à travers Poussin et Ingres, qui sont pour moi de la même lignée. Puis, ensuite, on se trouve plus ou moins perdu - ça c’est quand j’étais jeune - au milieu de cette aventure qu’est la vie ! Et on se retrouve seul, à devoir se battre contre soi-même et se débattre avec soi-même… Puis plus tard, j’ai été attiré par exemple, par John Martin, Friedrich, en somme, une chose un peu plus symbolique.
Carlo Et Albert Dürer ?
J.P.V. C’est sur ! Il fait parti de mes amours éternelles, de jeunesse aussi, mais éternelles sans doute ! Dürer ou Rembrandt ! Parce que… je n’ai jamais compris pourquoi on disait que Dürer est plus fort parce qu’il utilise le burin ou Rembrandt meilleur parce qu’il utilise l’eau-forte. Ce sont deux possibilités offertes de dialogue, d’après moi, avec un choix qui devient drastique. Je veux dire : impossible de dire en ce qui me concerne « aimer Dürer sans aimer Rembrandt. » Je veux dire que… je porte des lunettes…non, comment dit-on ? des œillères.
Carlo Par ailleurs, vous disiez…d’apprendre cette grammaire, d’avoir à la portée de la main toutes les possibilités d’expression. Pour ce faire, justement, on ne peut choisir entre Dürer (mettons de côté Rembrandt) ; en somme, faire ces choix, entre les nuances, par exemple, du graphisme de Rembrandt, et d’autres….
J.P.V. Oui, parce qu’après un certain temps, celui qui a compris Dürer, comprend Rembrandt. Et vice versa. C’est-à-dire dire que ce ne sont pas des chemins isolés, et donc c’est comme ça que l’on avance dans le chemin de la connaissance. Si je puis m’exprimer ainsi. Em principe, il n’y a rien à jeter, c’est-à-dire dire quand j’étais jeune, il y avait ceux qui disaient : « Et non ! Dürer est plus fort que Rembrandt ! » ou « Rembrandt est plus fort que Dürer ! ». Il y avait plus ou moins deux clans. Moi j’ai toujours trouvé ce genre de querelle absurde. Parce que Dürer était Dürer ! Et Rembrandt, Rembrandt ! Ce sont deux … en fait, ce qui manque à Rembrandt, Dürer l’a. Et vice versa.
Carlo Vous avez donc préféré les choisir tous les deux.
J.P.V. Oui, mais malheureusement, j’ai prononcé ces deux noms, mais il y en a bien plus en fait, non ? Pour parler des plus importants, il y en a un, qui fut par ailleurs le maître de Odilon Redon, je parle de Bresdin. C’est un graveur qui m’a beaucoup influencé. Et quand je dis « influencé », je veux dire que je l’ai beaucoup aimé.
Carlo Peintre, graveur, que préférez vous ? Comme préférez vous vous exprimer ?
J.P.V. Bien… je n’ai pas ce genre de problème. Si vous avez envie de faire une promenade à la Piazza del Popolo, vous y allez. Et puis à la Piazza di Spagna, vous irez demain, non ? Donc, comme cela, je peux voyager avec plusieurs modes d’expression plastiques que j’ai sous la main. Je dis cela malheureusement parce que la parole n’est pas mon fort. Quand j’ai envie d’aller à la Piazza del Popolo, par exemple, je prends un burin, ou une pointe d’argent ou bien l’aquarelle ou l’huile. Ce que je veux dire en fait c’est que je n’ai pas ce genre de problème.
Carlo Et avez vous eu l’occasion d’appliquer ce discours que vous tenez sur les arts plastiques à d’autres types d’art, comme par exemple, le théâtre, la chorégraphie, ou autres choses ? Avez vous eu des expériences de ce genre ?
J.P.V. Non, non… jamais.
Carlo Pensez vous qu’à l’avenir ça pourrait vous intéresser ?
J.P.V. Je ne sais pas.
Carlo Se sentir devant un champs immense, devant tant de fleurs qui n’attendent qu’à être cueillies…tu peux en cueillir une, ou bien un autre…
J.P.V. Oui, selon la journée, non ? (il rit)
Carlo Votre rapport avec ce qui se trouve au-delà de l’atelier du peintre… avec les gens, avec le social…
J.P.V. Je dirais, pour moi, que c’est très important, parce que l’atelier du peintre, ou du graveur, ou du dessinateur…
Carlo A des grandes fenêtres !
J.P.V. Si elle a des grandes fenêtres ! Et comment ! C’est là où l’on s’enferme pour recueillir ce qu’on a vu au dehors. Parce que nous sommes tous… c’est-à-dire… je pense… et dû au fait que je suis fait comme cela, j’ai tendance à croire que l’on est tous fait comme cela - que si nous ne communiquons pas avec les autres, nous ne sommes que des vers, personne, rien. Donc quand je vois une personne, je cherche avec mes yeux les choses qui sont intéressantes pour moi. Mais pas seulement pour moi d’un point de vue égoïste, pour comprendre le « pourquoi ? ». Le gros problème est : « que sommes nous venus faire sur cette Terre ? D’où venons-nous ? Que faisons-nous ? Où allons-nous ? » C’est vrai, non ?
Carlo C’est de la philosophie…
J.P.V. De toujours ! Par ailleurs, j’ai l’impression de dire une banalité, mais le problème de l’autre doit absolument devenir le mien. Ceci, sans doute, est une choses difficile à assumer parce que… comment dire ? Une personne peut se frapper la tête contre les murs pendant vingt ans, trente ans, quarante ans et peut-être ne comprendre jamais rien ! Je ne sais pas ! Moi même, je n’ai pas compris ! (il rit)
Carlo Nous avons ici devant nous parsemés certains tableaux de votre Bestiaire qui seront bientôt exposés si je ne m’abuse au centre culturel français.
J.P.V. Non, ceux-ci seront exposés à la « Don Quichotte » ; au Centre Culturel Français, il y aura une rétrospective de gravures en noir et blanc, seulement.
Carlo Donc c’est à la « Don Quichotte » que nous pourrons voir ce Bestiaire. Qu’est ce que cela signifie pour vous ?
J.P.V. Bien, c’est difficile ! Parce que si j’avais su… c’est-à-dire, au moins, j’ai fait cette tentative avec le langage « plastique » parce que je n’avais pas les mots pour écrire. Vous pourrez voir que l’homme, la « bête » principale, brille par son absence. Et toujours… Avez vous remarqué, par exemple, quand il y a trois ou quatre hommes, il y en a un, toujours, qui devient la tête de turc ? Le bouc émissaire, voilà ! Toutes ces bêtes, qui sont nocturnes, victimes depuis deux mille ans, disons, mais depuis encore plus longtemps… La chauve-souris, le hibou, ces pauvres bêtes qui ne demandent qu’à vivre dans leur monde nocturne ? qui ont refusé l’homme, etc. et que l’homme prend, et tue en fin de compte, d’une manière impitoyable, non ? Alors, disons que c’est une sorte de plainte, non pas sur les bêtes, mais sur l’homme qui accomplit cette violence, jour après jours, année après année, s’en prenant à ces « personnages » qui n’ont rien fait du tout.
Carlo Comment avez-vous résolu ces problèmes au niveau existentiel ?
J.P.V. Hum, hum….
Carlo Ces gros problèmes dont on parlait avant, c’est-à-dire le questionnement : « D’où venons-nous ? où allons-nous ? » Avez-vous réussi à résoudre cela à travers votre activité de peintre ?
J.P.V. Non, ceci n’est pas grave. Je me considère comme un … comment dirait-on ?… un insecte, oui, un insecte, une chauve-souris. C’est toujours l’homme qui dit qu’il est au centre de la création. Je ne pense pas comme ça. Je pense que la valeur est unique. C’est un discours peut-être dangereux selon son interprétation. Mais je ne me considère pas plus important que… qu’une vipère, qu’un hibou, qu’une chauve-souris. Et comme la chauve-souris est aussi importante que moi. Comme un morceau de pierre ! Que voulez-vous que je vous dises de plus ? C’est comme ça que je vois les choses. Jusqu’aujourd’hui. Plus tard, j’espère que cela ne changera pas !
Carlo Voilà ! Après ce que nous avons dit, comment se mettre d’accord avec la vie de tous les jours, la vie banale quotidienne ?
J.P.V. Justement ! Je crois que c’est une chose qui détruit…Chaque jour qui passe…et justement ce petit bestiaire… Je dirais une pensée de Tristan Corbière, un poète français, même breton en plus, de la fin du XIXème siècle : « Chaque jour en plus, m’était un jour en moins » - c’est moi qui ai écrit cela, sous l’influence de Corbière. Quand on se rend compte de cette réalité, il n’y a pas de quoi rire. Lui il disait : « « J’ai laissé ma peau à chacun de mes oripeaux ». Et donc c’est la rançon, c’est le prix à payer. Maintenant je ne veux pas rentrer dans le mélodramatique. C’est vrai pour les artistes, mais aussi pour les autres ! C’est une loi universelle, non ? C’est le prix à payer ! Et comme je disais auparavant, depuis 25 ans que je fais ce « métier » (entre guillemets) si je puis dire, on se rend contre que l’on est plus « pauvre » qu’avant, peut-être. Et c’est cela la grande richesse ! De savoir que nous sommes…non pas des imbéciles…mais privé de connaissance; que nous ne savons rien. Plus on avance, oui, plus on avance, plus on ne sait rien.