Julie et Pierre Higonnet
Les Mélancolies de Jean-Pierre Velly (2007)
Texte de présentation de l’exposition à la Fondation Il Bisonte, Florence
Je veux dire que le rat ou l’homme (ça peut sembler assez terrible ce que je dis là, l’homme n’aime pas en général qu’on lui dise la vérité en face) sont absolument égaux… Comme la chauve-souris ; ils sont égaux. Le rat égale un et l’homme égale un… Et la plante égale un. C’est tout… la pierre aussi … Le morceau de fer aussi…c’est un. Bien sûr, pour notre petit égoïsme personnel… Il n’y a absolument plus aucun problème pour moi de ce côté-là! Et ça, on le sait, moi je le sais au moins.
Jean-Pierre Velly
Propos recueillis par Michel Random, entretien du 12 novembre 1982.
La Mélancolie dans l’art occidental a fait l’objet récemment d’une importante exposition à Paris et à Berlin. En effet, « une fois éteints les artifices du jubilé de l’an 2000, il était temps que l’on reparle de la Mélancolie (1)», cette humeur ou bile noire, cette langueur, ce spleen qui oscille du vague à l’âme à la nostalgie jusqu’à la redoutable psychose maniaco-dépressive. Ce thème, comme il a été amplement démontré lors de cette remarquable exposition, hante toute l’histoire de l’Occident. Mais on sera tenté d’ajouter qu’il existe peu d’exemples d’une œuvre (et par là d’une vie) aussi soumise, du début à la fin, aux rigueurs de l’implacable règne de Saturne que celle de Jean-Pierre Velly.
Angoisse existentielle, voile de lassitude et d’ennui jeté sur le monde, la Mélancolie se décline sur de nombreux modes à travers les siècles. C’est cette humeur qui anime les grands maîtres du passé que Velly admire, et c’est tout naturellement qu’elle s’inscrit dès le début dans l’oeuvre de l’artiste. La première gravure répertoriée, le « Paysage à l’arbre mort », de 1961 et aujourd’hui disparue, est déjà un sujet mélancolique.
Le destin de Velly était scellé. Qu’il s’agisse de gravures ou de dessins, d’aquarelles ou d’huiles, il s’exhale de son œuvre (qui s’étend sur une trentaine d’années), un opiniâtre sentiment saturnien, aussi bien par le choix des sujets, l’expression et la gestuelle des figures, par le traitement de la lumière qui confère à ses images cette dimension fantastique. Partout ce sentiment inné de la finitude pénètre les femmes alanguies, les paysages morbides, les noyés inspirés des poésies de Corbière, les arbres secs, les insectes transpercés, les fleurs sur le point de mourir. Les gravures de Velly sont des variations sur le transitoire et l’égalité fondamentale des éléments constitutifs du monde, où maîtrise optique du visible et appréhension de la mort forment une esthétique cohérente du malheur.
Dans un autoportrait au crayon daté de 1987, l’artiste est alors âgé de 44 ans. Il se représente avec des traits exagérément vieillis comme s’il avait vécu un siècle. L’attitude hiératique, le regard sombre et creusé, le pli amer des lèvres, un crâne à peine esquissé, la montre au poignet décharné, tout nous rappelle la brièveté de l’existence. Parvenu au terme de son aspiration à la connaissance, il est résigné par la mesure de ses limites. C’est le regard las de celui qui a retrouvé la sagesse première, et qui vit dès lors dans un exil du désespoir. Vittorio Sgarbi, à propos de ce même autoportrait, écrit en 1988 : « L’expression de Velly est celle d’un grand mélancolique. Sur son visage s’imprime le tourment tragique, comme une autobiographie revue à travers l’iconographie de l’Ecce Homo »(2).
« Les mélancoliques sont les malheureux qui pensent, mais l’esprit de l’artiste sait changer les douleurs en oeuvre » (3). L’œuvre de Velly se présente comme une longue série de vanitas. Le message des vanités hollandaises du XVIIème siècle tend à rappeler l’impermanence des choses, l’importance du détachement du monde des sens et des richesses. Mais la complaisance de l’artiste de genre flatte : l’œil recherche la caresse des brocarts, l’éclat des coupes, la volupté des fruits, la douceur des pétales, le réalisme de l’escargot. En noir et blanc, l’ascèse est totale: sans artifice, la soie perd son éclat, le coquillage n’est plus l’illusion d’un coquillage réel, mais l’idée du coquillage, même si les objets sont représentés ici scrupuleusement, voire avec un surcroît de réalité, suivant des perspectives multiples mais parfaitement respectées.
La dislocation et la décomposition des corps, la dégradation due au temps, l’abîme et la chute sont au centre des préoccupations de l’artiste. « Ruines, cadavres, fantômes, monstres et squelettes, sont l’univers mental du mélancolique (4)». On pourrait ajouter à cette liste, les arbres morts, les ciels de tempêtes et les mers déchaînées. On en verra ici à foison. Les planches sont peuplées d’incongruités hallucinantes. Dans des paysages austères au panorama vertigineux, aux perspectives obliques, aux horizons multiples, les visages sont déformés et les corps anamorphosés, les objets agrandis ou rétrécis à volonté. C’est un monde fantastique à la précision diabolique d’un orfèvre maniaque.Et si Velly rejoint le memento mori tel qu’on l’entendait au XVIIème siècle, avec ses vases de fleurs (Fleurs 1971, Vase de Fleurs 1983), ou la présence d’un crâne dans Débris (1970), c’est bien d’une vanité contemporaine qu’il s’agit dans Tas d’ordures (1969), ou dans Senza Rumore I et II (1969) où quantité d’objets de la vie quotidienne, déchets prématurés de notre civilisation, sont abandonnés dans la nature à perte de vue. Vanité aussi que ces femmes allongées (Rosa au Soleil, 1968, Trinità dei Monti, 1968, les quatre Métamorphoses, 1970) qu’il retourne, éventre, dissèque, explose, pour faire voir leur « face » cachée, l’envers des corps. Vanité et mélancolie marchent ici côte à côte, et peu s’en faut qu’elles n’aillent à la rencontre de l’absurde, fruit de cette agitation insensée qu’est la vie.
Le monde sensible est un monde de couleurs et de volumes; mais le noir, le blanc et leur fusion dans le gris, sont bien les teintes de la Mélancolie. En ce sens, la gravure ne serait-elle pas par nature l’art mélancolique? (5) C’est à partir de l’âge de 20 ans que Jean-Pierre Velly se consacre uniquement à l’estampe en noir et blanc. Son œuvre gravé est riche de 97 gravures (6), gravées d’abord sur zinc puis très vite sur cuivre, et réalisées entre 1961 et 1990. La plupart d’entre elles ont été exécutées de 1964 à 1973, au burin (presque toujours ébarbé), à l’eau-forte et souvent avec une combinaison des deux. Certains cuivres ont été ébauchés ou repris à la pointe-sèche. Il existe aussi deux belles manières noires. L’aquatinte n’apparaît que deux fois sur ses planches. Enfin, Rondels pour Après (1978) est l’unique estampe dont le tirage a été imprimé en plusieurs couleurs.
À partir de 1971, Velly s’essaie à d’autres techniques, en particulier à la pointe d’argent. Ce sont surtout des portraits réalistes de femmes, d’enfants, de vieux, et quelques paysages. La couleur s’introduira doucement dans son œuvre avec le dessin (mine de plomb aquarellée ou crayons de couleurs dans Velly pour Corbière (1978), qui le mènera vers l’aquarelle puis la peinture à l’huile. Mais si le rythme de la production d’estampes ralentit, il ne cessera jamais de graver, et ce jusqu’en 1990, année de sa disparition.
À l’occasion de la présente exposition à la Fondation Il Bisonte, trente-quatre gravures ont été sélectionnées. L’œuvre de Velly forme un ensemble très cohérent tant sur le plan formel que conceptuel. Une œuvre en engendre une autre; un motif ébauché dans l’une s’épanouit dans la suivante. On peut donc envisager une multitude d’approches de ce corpus. L’exposition anthologique des gravures qui s’est tenue au Musée d’Art Roger Quilliot de Clermont-Ferrand en 2003, avait été présentée sous un angle thématique (7). L’exposition d’aujourd’hui sera abordée sous un angle stylistique. Cette approche consentira la présentation de l’univers de l’artiste en isolant parmi ses gravures des récurrences formelles. Cinq leitmotivs seront mis en valeur, même si ceux-ci s’interpénètrent. Le premier, développé plus en profondeur par Maxime Préaud dans son article souligne les liens qui unissent les estampes de Jean-Pierre Velly à la tradition de la gravure, en particulier celle de l’Ecole du Nord et de la Renaissance Italienne.
I Les liens avec la tradition
Jean-Pierre Velly à l’époque de sa formation, au début des années soixante, opte pour une expression graphique fidèle à celle de la tradition, avec son bagage technique astreignant. Il fréquente quatre écoles d’art, se forme non seulement auprès de ses professeurs, mais tire aussi ses leçons des maîtres du passé. Il se positionne d’emblée comme un maillon dans la longue tradition de la gravure, ce qui confère à ses œuvres une vocation intemporelle (8). Il se passionne très jeune pour l’œuvre de Dürer (9) qui va le décider à se consacrer à l’estampe. Ainsi, nous retrouvons dans les gravures de la période française (de 1964 à 1966) des échos de Léonard dans la suite des Grotesques (1964-1965), de Bresdin (Paysage Rocheux, 1965), de Bosch et Schongauer (Mascarade pour un rire jaune, 1967), sans oublier Goya (Chute, 1965). Main Crucifiée (1964) et Etude de pieds en croix (1965) sont une allusion directe au Retable d’Isenheim de Mathias Grünewald (10), que l’artiste admirait au plus haut point. On y retrouve toute la tension, la douleur et « l’expressionnisme » de ces chairs torturées.
La composition de Vieille Femme (1966) et de la Clef des Songes (1966), scindée en deux, où une femme mûre est parachutée dans le ciel au-dessus d’un paysage vu de très haut, évoque celle de la Némésis (la Grande Fortune, 1502) d’Albrecht Dürer. Le Groupe de six hommes (1964) répond au Bain des hommes (1496). La diablesse (11) d’Illustration pour un conte (1965) adopte la célèbre position de Melencolia I (1514), mais elle est aussi la contraction de Job (12), gravure de 1509, d’Hans Baldung Grien. Mais ses affinités avec Dürer (et l’Ecole du Nord) vont beaucoup plus loin. Au-delà d’une affinité de style, il s’agit d’une fraternité d’esprit. Ce sont tous deux des mystiques de la nature qui posent le même regard attentif sur le moindre brin d’herbe, les variations du ciel et des nuages, la beauté fragiles des insectes.
II. Le Réversible
C’est en s’imprégnant de ce vocabulaire hérité des maîtres anciens, que Velly construit son propre langage, véhicule de son introspection personnelle (13). En renversant les genres classiques (nus, paysages, natures mortes) il renouvelle leur sens. C’est un thème très italien qu’il reprend avec la série des femmes allongées, réalisée pendant son séjour à la Villa Médicis. Dans Rosa au Soleil, ce chef d’œuvre de 1968, Rosa nue, se coiffe sous un soleil éblouissant ; au second plan, son double apparaît comme par effet de miroir. Acéphale, il dévoile ses entrailles, et c’est toute une tuyauterie obscène d’organes, de câbles, de débris qui apparaît au grand jour. Nulle distinction n’est faite entre matière organique et inorganique dans ce déballage, situé dans l’empire du rêve et du cauchemar. Cette scène rappelle sans doute que la beauté extérieure de l’une ne doit pas cacher la réalité de l’autre.
Notons que l’inversion est une des principales caractéristiques de la gravure. L’artiste travaille à l’envers, et ce à plusieurs niveaux. Il entaille le cuivre de tous les côtés, le faisant pivoter fréquemment. L’impression du cuivre sous la presse est un travail fait en négatif. Certaines gravures de Velly sont réversibles, et soulignent ainsi l’équivalence fondamentale des éléments, car ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. Rechute (1968) et le ciel et la mer (1969) obéissent à cette loi : dans la première, une nuée de corps chute dans un gouffre infernal. En retournant l’image, ces hommes à nouveau, mais cette fois-ci dans la mer. Cette pièce peut être lue indifféremment dans les deux sens (14). Dans la seconde, les nuages noirs du ciel sont tellement tourmentés qu’ils contaminent les moutons de la mer. Dans l’Ange et Linceul (1973), le renversement s’opère par une contraction linguistique: les langes sont les premiers vêtements, le linceul le dernier.
III. Métamorphose
Le principe féminin symbolise la fluctuante mobilité des choses, le processus naturel de la transformation. Mais ces corps de femmes sont des poupées, des mannequins d’atelier. Leur substance interne éclate au grand jour sous l’effet d’une tempête. Après avoir renversé le thème de la femme allongée pour dévoiler sa réalité cachée, Velly va cette fois éclater ce corps. Dans les quatre Métamorphoses, sous l’effet d’un cyclone, une rafale de corpuscules, d’entrailles, de personnages, de formes organiques et géométriques, s’échappe de nus féminins tronqués.
L’unité, en se transformant, ne produit pas une autre unité, comme dans les Métamorphoses d’Ovide (15), mais bien une multiplicité. Dans Métamorphose I, cette agglomération d’éléments devient le substrat sur lequel poussent des arbres. Ainsi la mort ne serait pas la fin dernière, mais bien une étape nécessaire à la régénération, au cycle de la vie, tout comme l’hiver, sous nos latitudes, est la période végétative qui précède la germination du printemps. Dans Métamorphose II, on assiste à un instantané d’un violent tourbillon de formes et de flammèches, spirale ascendante de la terre vers le ciel. Dans Métamorphose III, c’est un courant d’air qui plonge et aspire vers le bas un courant continu de figures féminines et de drapés, tandis que dans Métamorphose IV, c’est une vague emportant toute chose qui se brise, et produit à son tour une écume qui monte au ciel.Dans Les Temples de la nuit (1979), une femme noyée est portée par des flots mêlés de crânes et d’objets contondants. Ces flots s’élèvent vers une nuée fantastique située dans la partie supérieure, qui libère à son tour la pluie qui alimente la mer. Cette Ophélie s’intègre dans le cycle des régénérations. La mort donne naissance à la vie.Mais ce passage de l’un au multiple pourrait avoir d’autres significations. En procédant ainsi, Velly éclate le concept de l’unité anthropocentrique, l’unité de référence de chacun de nous. Car c’est la chose la plus difficile que de faire abstraction de soi. Illusoire aussi de penser que l’homme soit le centre de la création. Il n’est qu’un élément parmi d’autres, une phase dans le cycle des générations - destructions.
IV. Accumulations
L’accumulation est une autre « figure de style » caractéristique de l’art de Jean-Pierre Velly. Cet horror vacuii, si propre au fantastique, se développe très tôt dans l’oeuvre de l’artiste. Il grave des amas extraordinaires d’objets, de ruines, ou de personnages, concentrés dans quelques centimètres carrés. Le Massacre des innocents (1970-1971) est aujourd’hui la plus célèbre de ses gravures; dans cette planche spectaculaire qu’il mit un an à terminer, un paysage s’étend à l’infini ; il est constitué de plusieurs milliers de personnages nus courant en tout sens. Ce paysage anthropomorphique et halluciné est baigné d’une lumière de fin du monde. Mais l’accumulation atteint son paroxysme dans Un point c’est tout (1978) où plusieurs centaines d’objets, de personnages et d’animaux sont aspirés vers un seul point de fuite. Comme dans Enfin (1973), le chaos n’est qu’apparent. En réalité, l’oeuvre est traversée de part en part de ramifications, de réseaux, de sens cachés. En analysant la position des objets dans la gravure, on découvre bientôt que ceux-ci sont liés par des associations morphologiques, linguistiques et sémantiques. Velly a d’ailleurs matérialisé la profusion de ces liens par des cordes, des chaînes de vélo, des câbles, des tuyaux et des poulies. Ce labyrinthe possède son propre système de référence et de symboles.
Ces accumulations de personnages, de plantes, d’animaux et d’objets de la vie courante, forment un véritable cabinet de curiosités. L’œuvre de Velly, par la contemplation de la nature et la remise en question des valeurs et des échelles, nous permet de prendre conscience du monde dans sa totalité.
V. Echelles
La tabula rasa de Jean-Pierre Velly ne réside donc pas dans son vocabulaire graphique, emprunté aux grands maîtres du passé, mais dans sa faculté de renverser les échelles et les valeurs.
Leur réévaluation est la résultante de cette méditation gravée. Grâce au renversement des échelles optiques, Velly concentre dans le même espace l’infiniment petit et l’infiniment grand. Microcosme et macrocosme se confondent.
La notion d’échelle fait son apparition très tôt dans la gravure de Velly ; les Escargots (1964), posés dans un paysage de falaises, paraissent surdimensionnés ; les hommes nus représentés dans petit paysage d’Ollioules (1965) ou dans Paysage rocheux, se perdent dans une nature immense à l’aspect souvent inquiétant.
L’échelle sociale est représentée dans le bas de l’échelle (1967) où des monstres aux visages altérés, dégradés, nous dévisagent et nous mettent mal à l’aise. Dans Vase de fleurs (1983), on assiste à un nouveau renversement de valeur : un bouquet d’orties, d’herbes des champs et de spontanées des bords de route dans un vase, occupe le premier plan, devant un paysage s’étendant à perte de vue. Un décalage s’opère entre les plans car on a perdu l’intermédiaire de la mesure humaine. C’est en regardant attentivement ce bouquet de trois fois rien, qu’on découvre la somptuosité du travail de la nature et par son truchement, celui de l’artiste.
Cette notion est exacerbée dans Le rat mort (1986), titrée aussi Au dernier souffle du rat mourant sous les étoiles, où dans un raccourci stupéfiant, le rat haï par les hommes se mesure à l’échelle de l’univers. De manière spéculaire, une révolution s’opère sur le spectateur. Il peut alors considérer le monde sous un autre jour et voir enfin la beauté là où il ne l’attendait plus.
Velly aura recherché toute sa vie à traduire le mystère, le secret, l’indicible. Très patiemment, il a composé esthétique de la fin des choses. Car comme le dit justement Vittorio Sgarbi : « Tout ce qui est, est sur le point de finir… La vraie beauté est seulement ceci : non le néant, mais ce qui est sur le point de disparaître. (16)» La contemplation sur la disparition et la mort est la condition d’un renouveau. Cette mélancolie positive est fondée sur une analyse, une compréhension et une acceptation de la réalité dans sa globalité qui permet l’admiration de chaque chose, petite ou grande. Le passage à la couleur se comprend alors comme un cheminement naturel; le cauchemar en noir et blanc cède la place à de magnifiques dessins de nus, des vases de fleurs délicats, des paysages grandioses, des crépuscules émouvants.
En guise de conclusion, laissons la parole à Jean-Pierre Velly: « Plutôt que d’un pessimisme, je parlerais volontiers de réalisme. Je dis souvent : « la vie est une histoire merveilleuse qui finit terriblement mal ». Nous vivons ; Rome est là: l’air est bleu ; et quel que soit le pourquoi et le comment cette mystérieuse affaire, un beau jour on meurt. La mort d’un individu est dramatique pour l’individu qui meurt, et relativement peu pour tous les autres. Maintenant, étendons ce concept à l’humanité entière. Que serait la fin de notre monde ? L’explosion de la planète terre ? Un minuscule accident à l’échelle de l’univers. La condition humaine, c’est le temps. Si nous cherchons à faire abstraction du temps, nous sommes déjà un peu plus libérés. II me plaît de pouvoir raconter que rien n’est grave, que je vais mourir un jour, mais que l’humanité continuera et même si la vie disparaît un jour sur la terre... C’est une espèce de réalisme qui semble dramatique mais qui en fait ne l’est pas. » (17)
Que soient ici vivement remerciés la famille Velly, le professeur Ceccotti et Monsieur Simone Guaita de la Fondation Il Bisonte, Madame Marzia Faietti, directrice du Cabinet des Dessins et Estampes du Musée des Offices, Maxime Préaud conservateur au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de France, Paris, Monsieur Bernard Micaud et l’Institut Français de Florence, les services culturels de l’Ambassade de France à Rome (Palazzo Farnese), de l’Académie de France à Rome (Villa Médicis).
1. Jean Clair, « Mélancolie, génie et folie en Occident », Gallimard R.M.N. 2005, p. 11
2. Vittorio Sgarbi, « Velly au-delà de Velly, où l’espoir du néant», p. 3. ed. Galerie Don Chisciotte, 1988, p. 3.
3. Paul Valéry, in “Mélancolie, génie et folie en Occident », Gallimard RMN, 2005
4. Maxime Préaud, Mélancolies, Livre d’images, Editions Klincksieck, 2005
5. La bile noire pourrait être associée par transfert à l’encre du graveur. Jean Starobinski titre sa contribution pour “Mélancolie, génie et folie en Occident » : L’encre de la Mélancolie où il compare la bile noire à une « eau forte du Styx intime » (op.cit. p. 24) . 6. Une dizaine d’entre elles sont inédites.
7. Les thèmes étaient les suivants : grotesques, paysages, nus féminins et vanités.
8. J’aimerais bien qu’il n’y ait pas de trace, pouvoir enlever de mon travail absolument toute historicité. Ce serait ainsi atteindre à un discours bien plus ample, plus humain. C’est ce que je m’acharne à faire. Quand j’ai un crayon dans les mains, je veux dessiner, saisir la chose la plus anonyme qui soit. Ce serait mon idéal. Jean-Pierre Velly, Dialogue avec Jean-Marie Drot, 1989.
9. « J’ai commencé à graver à quatorze ans à l’École des Beaux-arts et je me suis immédiatement rendu compte que la gravure était pour moi la meilleure façon de m’exprimer, que ce serait ma voie. Mais le choc le plus fort je le reçus quand pour la première fois à la Bibliothèque Nationale de Paris j’ai pu voir et toucher les gravures du grand, de l’insurpassable et sublime Dürer. Ce fut la révélation de ma vie. Et depuis la gravure a été le cauchemar et le rêve de ma vie. La vision en noir et blanc est un fait entièrement mental : ça n’existe pas dans la nature, et dans le noir et blanc se déchaîne toute mon anxiété et ma soif d’expression artistique, sans suivre les modes, ni vouloir à tout prix essayer d’être contemporain. Je le suis déjà suffisamment en restant moi-même avec tout mon bagage d’images et de visions. » Jean-Pierre Velly, propos recueillis par Franco Simongini, I miei maestri in Il Tempo, 1980.
10. Conservé au Musée d’Unterlinden de Colmar.
11. On ne rappellera pas ici les rapports qui existent entre le Mélancolique et le Malin, évoquons seulement le dicton « Melancholia balneum diaboli » qui fait du mélancolique une proie favorite de Satan.
Reproduit dans Mélancolies, Maxime Préaud, p. 63. Une diablesse aux seins pendants et mains griffues, tourmente Job assis dans une attitude mélancolique.
13. « Pour moi, un maître, c’est celui qui a le courage d’aller jusqu’au bout de lui-même. Plus le terrain d’où surgit la pensée est humain et fertile, plus la pensée sera profonde, plus grande sera l’authenticité. » Jean-Pierre Velly ; Dialogue avec Jean-Marie Drot 1989 (op.cit)
14. Nous connaissons des exemplaires de Rechute signés et numérotés dans les deux sens. Dans le catalogue raisonné compilé par Didier Bodart en 1980, avec la collaboration active de l’artiste, elle est reproduite avec les hommes chutant dans le gouffre.
15. Daphné se transforme en laurier (livre 1 vers 452-583), Actéon en cerf (livre III, vers 134-255), Arachné en araignée (livre VI, vers 1-145). Cf. Ovide, Les Métamorphoses, traduction de Georges Lafaye, Gallimard 1992.
16. Vittorio Sgarbi, op.cit.
17. Jean-Pierre Velly, Dialogue avec Jean-Marie Drot, 1989.
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