À travers ce dialogue constant entre le corps et le paysage, l’œuvre de Velly approfondit leur perception, l’un devenant le miroir de l’autre. De même que le grotesque des personnages avait transmis au paysage son aspect exagéré et tortueux, de même, la conception d’une nature factice, régie par des tuyaux et des engrenages, contamine le corps.
Dans Yeux et tuyau, Velly représente sur un fond nu des yeux rattachés entre eux par des tuyaux qui rappellent en même temps les sphères de briques de ses paysages. Ces tuyaux peuvent aussi bien être des canalisations d’égouts que des veines. Réciproquement, l’Arbre (1989) – tronc desséché, souche arrachée obéissant de nouveau à cette logique du renversement – fait penser à un corps écorché : ses ramifications ont la finesse d’un réseau capillaire, et la mousse qui recouvre l’écorce s’assemble comme les cellules d’un tissu. Cet arbre noueux frémit ; il respire encore.
Cette caricature de l’homme se transmet à la nature qui l’entoure. Et pour Velly, la nature n’a rien d’idyllique ni d’accueillant. Le paysage exagérément marqué est un enchevêtrement d’herbes folles, d’arbres secs et rachitiques aux branches racornies, de rocailles tortueuses et pleines d’aspérités. Les cimes des montagnes se fondent avec des gouffres et les repères se brouillent: les malheureux qui s’aventurent dans ces contrées ne savent plus où aller. Aucun retour vers un âge d’or n’est perceptible : l’homme s’est perdu, entraînant la nature dans sa chute.
Ces paysages aux allures de terres vierges sont en réalité artificiels. Des structures architectoniques absurdes, aux engrenages compliqués, creusés de cavernes en pierres de taille et parcourus de canalisations, les envahissent tandis que des usines dégagent des gaz délétères qui obscurcissent le ciel. De petits bonshommes égarés tombent sans raison, ou plutôt sans savoir pourquoi, et des arbres tutélaires assistent douloureusement à ce sacrifice absurde.