Leonardo Sciascia
Velly pour Corbière (catalogue).
On a publié l’année dernière à Genève un livre, Stendhal et ses peintres italiens de Philippe Berthier, qu’on peut considérer définitif, sur la question disputée par un grand nombre de Stendhaliens et de Stendhalistes : Stendhal aimait-il la peinture et la comprenait-il vraiment ? L’auteur l’a dédié : “A Jean-Pierre Velly en souvenir de nos promenades dans Rome”.
Cette dédicace engendre pour moi une suggestion critique. Velly est dans ses gravures (que je connais depuis sa première exposition en Italie) ainsi que dans ses aquarelles, absolument “nordique”. Et je suis convaincu que l’oeuvre la plus grande de toute l’histoire de la peinture est pour lui le retable d’Issenheim du musée de Colmar. Pourtant, dans toutes ses oeuvres on respire aussi comme un air de promenade dans Rome; non seulement pour la présence assez fréquente d’éléments de la ville, mais pour la présence, dirais-je, d’une notion proprement romaine du baroque, d’un baroque qui s’intègre à l’apocalyptique, à l’Apocalypse que Velly, constamment bien que sous des formes diverses, représente et interprète, à partir des ordures jusqu’à la vallée de Josaphat. Mais ceci n’est que le thème d’un discours qu’on doit faire sur Velly et que je me propose de faire. Pour le moment, voilà ces aquarelles inspirées des poésies de Tristan Corbière, poète plus maudit que tous les autres, le plus heureux entre les maudits, peut-être à cause de son excentricité géographique, peut-être pour avoir été “parisien un instant et breton pour toujours”, comme le dit Verlaine quand il présente, en 1884, les poètes maudits :
Tristan Corbière fut un Breton, un marin, et le dédaigneux par excellence, aes triplex. Breton sans guère de pratique catholique, mais croyant au diable ; marin ni militaire, ni surtout marchand, mais amoureux furieux de la mer, qu’il ne montait que dans la tempête, excessivement fougueux sur ce plus fougueux des chevaux (on raconte de lui des prodiges d’imprudence folle), dédaigneux du Succès et de la Gloire au point qu’il avait de défier ces deux imbéciles d’émouvoir un instant sa pitié pour eux !
Passons sur l’homme qui fut si haut, et parlons du poète. Comme rimeur et comme prosodiste il n’a rien d’impeccable, à commencer par Homère qui somnole quelquefois, pour aboutir à Goethe le très humain, quoi qu’on en dise, en passant par le plus irrégulier Shakespeare. Les impeccables, ce sont...tels et tels. Du bois, du bois et encore du bois. Corbière était en chair et en os tout bêtement.
Son vers vit, rit, pleure très peu, se moque bien, et blague encore mieux. Amer d’ailleurs et salé comme son cher Océan, nullement berceur ainsi qu’il arrive parfois à ce turbulent ami, mais roulant comme lui des rayons de soleil, de lune et d’étoiles dans la phosphorescence d’une houle et de vagues enragées !
Il devint Parisien un instant mais sans le sale esprit mesquin : des hoquets, un vomissement, l’ironie féroce et pimpante, de la bile et de la fièvre s’exaspérant en génie et jusqu’à quelle gaîté !
Dans une nouvelle édition des Poètes Maudits de Verlaine, à tirage limité et enrichie de lithographies de Luc-Albert Moreau, Corbière est représenté par Moreau entre le l’auteur-compositeur et le libertaire. Et voilà, à mon avis, repérables les données intrinsèques de sa pensée qui rendent possible aujourd’hui un retour, une relecture. Mais Velly en a fait une lecture moins superficielle : il est allé au-delà du profil de Corbière qui pourrait être à la mode; il y a surtout rencontré la couleur, une couleur “du Nord”, une couleur bretonne, mais revécue dans les promenades dans Rome.
Traduction de Lucio Mariani
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