In girum imus nocte et consumimur igni
Héraclite
« Pourquoi et comment tant de choses et d’êtres semblent perdus ou aveugles, et pourquoi un morceau de boue sèche avec des hommes dessus, qui mènent dans l’infini une course sans fin, des millions d’étoiles, pourquoi ce vertige ? »
J.-P. Velly
correspondance avec Philippe Berthier
La vision en noir et blanc n’est pas naturelle. Ce détachement face à la réalité ouvre sur l’imaginaire, et de là, à une réflexion sur le sens de l’existence. Comme si le noir et blanc était un squelette, une architecture invisible, et la couleur, la chair, l’enveloppe. Le noir et le blanc, c’est aussi le monde de l’écriture, de ce qui s’adresse directement à l’esprit sans recourir aux images. La gravure serait à mi-chemin entre les mots et les formes, un langage aride qui va à l’essentiel. Si bien qu’on pourrait regarder une gravure, à la manière d’un texte chinois, où la combinatoire des idéogrammes compose un sens qui dépasse celui des éléments isolés.
Velly était conscient de l’aspect ascétique de ce langage.
« Mais finalement, j’ai choisi le plus pauvre des langages, la gravure, le noir, le blanc, le point. Le blanc c’est l’acceptation de tous les rayons solaires ; le noir leur négation totale. »
J.-P. Velly
Les gravures de Velly ne sont pas faites pour être seulement regardées: il faut les lire, lentement, comme un roman. Prendre le temps d’isoler chaque détail, chaque objet, avant de le situer dans l’ensemble pour s’y plonger de nouveau.
L’œuvre de Velly est cohérente : chacune de ses gravures porte le même message, mais avec des nuances et des images différentes. Dévoiler l’intérieur du corps et sa caducité, n’est-ce pas aussi exposer des détritus et graver des vanités ?
Dans les années 70, Velly se tourne vers, l’aquarelle et le dessin, miroirs d’une vision plus sereine de la nature et des hommes. Mais il n’abandonnera jamais ses outils de graveur alchimiste. Lorsqu’il les retrouve, c’est pour revenir à la métaphysique. Son interrogation sur la mort et l’après, suggère peut-être un sens à notre existence.
Dans les gravures tardives, on retrouve cette vue surplombant une immense étendue. Mais au premier plan se trouve un mort sur le dos, la tête projetée vers l’avant, dans la position inversée de celle du Christ de Mantegna. Cette construction, Velly la met en place dès 1967, notamment dans Esquisse Triptyque et Valse lente pour l’Anaon, et la développera ensuite dans Qui sait ? N’amassez pas les trésors et Rondels pour Après. Ce cadavre constitue l’axe autour duquel s’organisent les éléments représentés, et restitue une échelle humaine à des paysages qui l’avaient perdue. Le spectateur est comme l’âme du défunt contemplant sa dépouille : il flotte encore un instant dans ce monde avant de rejoindre l’inconnu. Bien au-delà de tous soucis esthétiques, cette composition est une réflexion sur le moment du passage.
Dans N’amassez pas les trésors, un noyé ballotté par les flots d’une mer houleuse est entouré d’objets : tiares, coupes, couronnes, étendards, temples brisés. Semblables à des détritus, ces trésors poursuivis vainement par les hommes au cours de leur vie sont mis à leur juste place.
A l’horizon luit un astre. On ne sait si c’est l’aube ou le couchant.
Mais cette lumière n’est pas uniquement le résultat d’une recherche plastique sur le rendu des volumes et des objets ; bien des proches de l’artiste l’ont qualifiée de surnaturelle - un soleil promettant un ailleurs.
Dans les Portes de la nuit et Rondels pour Après, cette lumière s’intègre dans une cosmologie et devient un astre sur la carte vellinienne de l’univers. Les soleils pleurent et leurs larmes inondent les corps du premier plan. Larmes de douleur, mais aussi de transformation, qui se cristallisent en épines, en aiguilles. Elles transpercent la peau comme une crucifixion universelle.